Cinéma mexicain, un pays à l’Honneur

Cinéma mexicain, un pays à l’Honneur

Depuis 1980, le Festival d’Amiens a fait la part belle au cinéma mexicain. Ainsi la présence de Germán Robles, le fameux Vampire latino et la découverte de Guillermo del Toro avec son court métrage noir Doña Lupe.

En 2018, le voyage est alléchant : 10 classiques du Film Noir mexicain, un cinéma marqué par le mélodrame et le film policier, hanté par les figures criminelles du genre et porté vers des bas-fonds où règnent les femmes fatales…

Six documentaires créés par trois jeunes figures talentueuses : Eugenio Polgovsky, Tatiana Hueso, Everardo González constitueront une ouverture contemporaine de choix.

Un hommage à « Ambulante », le circuit itinérant de diffusion du documentaire au Mexique, circuit présidé par le comédien Gaël García Bernal.

Plusieurs perles de l’animation mexicain toucheront le public jeune et moins jeune.

 LE FILM NOIR Mexicain

La notion de film noir a été créée par des critiques de cinéma français au lendemain de la seconde guerre mondiale pour qualifier tout un pan du cinéma américain. Des films comme Le Faucon maltais (1941, John Huston), Tueur à gages (This Gun for Hire), 1942) de Frank Tuttle, Assurance sur la mort (Double Indemnity,1944) Billy Wilder, Le Grand Sommeil (The Big Sleep), 1946, Howard Hawks sont devenus les archétypes d’un genre nouveau : le Cinéma Noir.

Le film noir mexicain n’est pas pour autant un sous-produit du cinéma nord américain. Comme pour le film noir français, ce genre cinématographique doit beaucoup à sa propre tradition nationale, à ses grands acteurs ou actrices, à l’état de la société au moment de sa réalisation. Pour s’en tenir aux acteurs et actrices, María Felix la mexicaine tient à la perfection le rôle de femme fatale tout comme Dolores del Río celui de l’innocence. Elles ne sont pas sans nous rappeler Michèle Morgan ou Arletty dans les films noirs français. Quant à Pedro Armendariz ou Arturo de Córdova, ils ont autant de talent que Jean Gabin (Pépé le MokoLa Bête humaine ou Touchez pas au grisbi), que Pierre Fresnay (Le Corbeau) ou Michel Simon dans (Le Dernier Tournant ou Panique).

En résumé, les dix titres proposés dans cette trop brève rétrospective sont l’expression d’un authentique cinéma mexicain, un cinéma populaire attirant un large public. Un genre né pendant l’âge d’or (1940 -1950) du cinéma mexicain et qui aura même son néo-noir, comme nous l’esquissons à la fin de cette rétrospective. Grâce au travail exemplaire de sauvegarde du patrimoine accompli par la Filmoteca de l’UNAM et la Cineteca Nacional à Mexico, ces films sont mis à la portée du public du Festival d’Amiens. Grâce aussi doit être rendue au travail pionnier accompli en ce sens par le brillant Festival de Morelia.

Vers la fin des années quarante, la nuit semble prendre le dessus sur le jour dans un cinéma mexicain qui cherche les routes de sa modernité. Les personnages moralisateurs cèdent le pas aux truands, la ville est le lieu de toutes les perversions. Le Mexico de la nuit est de plus en plus fait d’alcools et d’amours tarifés, de crimes perpétrés aux rythmes des cabarets. Cet univers « noir » est manifeste dès 1938, dans le film d’Alejandro Galindo Mientras Mexico Duerme (Quand Mexico Dort).

Julio Bracho, l’un des réalisateurs mexicains les plus originaux, propose dans Une aube différente (Distinto Amanecer) le premier film carrément noir de Mexico. Filmé en un magnifique noir et blanc par Gabriel Figueroa, le grand directeur de la photo (spécialiste jusque-là des cieux et paysages resplendissants de la révolution mexicaine), le film donne toute sa substance à la ville, tout y est inquiétant, claustrophobique, manipulateur. L’histoire d’un dirigeant syndical traqué par des hommes de mains qui veulent l’impliquer dans un scandale… Le film s’empare des clefs du film noir pour mieux dérouler un mélodrame socio-politique doublé d’une histoire d’amour impossible. Le jeune Pedro Armendariz y est surprenant de vérité !

Roberto Gavaldón, considéré par la critique comme « le père du film noir mexicain » nous propose avec Double destinée (La Otra, 1946), l’alliance superbe de plusieurs fondateurs de l’industrie cinématographique de l’Âge d’or à savoir José Revueltas, scénariste et écrivain de premier plan et Alex Philips, fort brillant directeur de la photo. Tous deux vont permettre au réalisateur de jouer sur les situations (en forme de miroirs inversés) puisque les deux personnages principaux sont deux sœurs jumelles dont l’une va assassiner l’autre. Par envie et jalousie, pour évidemment prendre sa place au soleil. C’est Dolores del Río qui tient le double-rôle des sœurs jumelles. Cette dualité troublante du personnage principal correspond au travail sur le noir et blanc d’Alex Philips et exprime avec justesse le passage du bien au mal. Tout le film repose sur l’opposition de ces deux couleurs du début (voiles noirs du deuil et blancheur des tombes) à la fin (ombre portée des noires lignes des grilles de la prison et lumière à travers chaque interstice) en passant par le noir des robes et costumes des invités récitant le rosaire dans le salon blanc. Ce noir et blanc reflète également la dualité troublante du personnage principal entre le bien et le mal.

Double destinée, La Déesse agenouillée (La diosa arrodillada, 1947), Mains criminelles (En la palma de tu mano, 1950), La Nuit avance (La noche avanza, 1953) constituent des films noirs aux accents fort proches de l’expressionnisme allemand et d’œuvres comme les Tueurs de Robert Siodmak (1946), tout en gardant ici ou là des expressions flirtant avec l’univers du mélodrame mexicain. Malgré les codes du mélo, les personnages quels que soient leurs métiers ou ambitions sont entraînés par un destin inexorable vers la mort. Et ne peuvent échapper à l’emprise des femmes fatales qui les entourent et les enchâssent. Ainsi La Nuit avance, malgré un côté parodique (la pelote basque versus le baseball) mais grâce à l’association Gavaldón/Draper, réalisateur/directeur de la photo, dégage un sentiment de réalité fait de mafieux et d’ambiances nocturnes frelatées, de jeux truqués et de femmes laissées pour compte.

Toutefois même quand il nous entraîne vers le monde de la pègre, le film noir mexicain, à la différence du noir hollywoodien parvient à dépasser la violence propre au monde des gangsters pour exprimer la violence du pays et ses névroses individuelles. Le film noir mexicain est en cela l’héritier des déchirements traversés par le pays au long de la Révolution Mexicaine, de la dictature militaire qui s’était installée au pouvoir depuis les années vingt. Pour mémoire, cette prise de pouvoir allait dominer le pays pendant plus de soixante-dix ans.

Rien d’étonnant dans le noir mexicain à l’absence relative de séquences donnant un rôle prépondérant aux gangsters, car qui dit gangsters dit logiquement présence de policiers qui les combattent, or dans le contexte particulier du pays les uns et les autres se confondent trop souvent et rares sont les auteurs ou scénaristes qui acceptent de donner le beau rôle aux policiers. Ce serait un anachronisme.

C’est paradoxalement une comédie noire bâtie autour d’une satyre sévère du film et des romans noirs américains qui parvient à poser l’évidente corruption de la police mexicaine. Miguel, le personnage principal de Llàmenme Mike (1979) d’Alfredo Gurrola emprunte son nom à Mike Hammer, détective violent, machiste et très conservateur créé dans les années cinquante par Mickey Spillane (*).

Le film d’Alfredo Gurrola, tourné en 1978 devra attendre 1982 pour pouvoir être distribué au Mexique !!! C’est l’histoire de Miguel, membre de la police judiciaire, flic corrompu, noceur et fort violent, qui va accepter de porter le chapeau pour ses chefs en échange d’une promotion. Il accepte d’être responsable d’un détournement de cocaïne. Emprisonné il va être tabassé violemment par des truands et finira en asile d’aliénés. Quand il parvient à s’évader, il se fait appeler Mike et comme le héros de Spillane part à la chasse aux « rouges ». Le film d’Alfredo Gurrola peut aisément être qualifié d’anomalie dans la production mexicaine, il n’en opère pas moins une jonction originale entre le noir mexicain et l’univers néo-noir des séries et des romans policiers américains tels que diffusés au Mexique depuis l’âge d’or des studios (mexicains). Son contenu socio-politique n’en est pas moins évident. Il est considéré aujourd’hui comme l’un des films clés du néo-noir dans son pays.

À peu près à la même époque, Arturo Ripstein s’attaque également aux méfaits de la police mexicaine dans Cadena Perpetua (1978). Après une attaque ratée, un voleur surnommé « El Tarzán » décide de s’amender, il se marie et trouve un emploi honnête. Mais il tombe sur Prieto, un policier corrompu, qui pour lui soutirer de l’argent. lui rappelle son emprisonnement dans les îles Marías. El Tarzán tente de prouver son honnêteté. En vain ! Pour payer le policier, il est obligé de recommencer à voler. Bien plus qu’un thriller, le film d’Arturo Ripstein fonctionne comme un film noir. S’il n’y a pas de femme fatale, le personnage est prisonnier de son destin et son sort final ne fait pas de doute. Un portrait en creux de la société mexicaine des années quatre-vingt.

Heli (2013) d’Amat Escalante clôt provisoirement ce cycle sur le noir et le néo-noir mexicain. Nombre de spectateurs ou de critiques pourront s’interroger sur la pertinence de ce choix tendant à y inclure un tel film. L’argument du film y est pour quelque chose : dans le nord du Mexique vit la famille d’Estela, une jeune fille de douze ans, prise dans un engrenage de violence terrible. Elle tombe amoureuse d’un jeune policier qui croit pouvoir détourner un chargement de drogue en le cachant sous le toit de leur maison. Et la violence va surgir, à la mesure de ce que vit la société mexicaine en proie aux narco-trafiquants. Heli est le frère aîné d’Estela, c’est un homme modeste et honnête qui se trouve confronté à un univers qui devient le sien, par la force des choses.

Amat Escalante ne cède pas à la tentation de la violence esthétisante, même si ses personnages en sont victimes. La force du film réside en sa mise en scène, en l’éthique de sa mise en scène. À l’attention qu’il porte aussi bien aux objets de la vie quotidienne de la famille d’Heli qu’aux symboles de l’explosion de son univers quand surgissent ceux qui tuent pour obéir aux barons de la drogue : des jeunes si jeunes qu’on dirait des enfants.

Le dernier plan du film s’ouvre sur la nature qui semble reprendre vie, après avoir été ravagée. Note d’espoir ?

Les dix films de cette rétrospectives seront suivis de rencontres avec José-Manuel Garcia, historien du cinéma-Filmoteca de l’Unam, Mexico.

Jean-Pierre Garcia

 

(*) les cinéphiles amiénois se souviendront  de l’excellent  En Quatrième vitesse (Kiss me deadly) adapté par Robert Aldrich du roman éponyme de Mickey Spillane.