Focus sur Samba Félix Ndiaye Edition 42
« En fait, ce que j’aime par-dessus tout dans le documentaire, c’est la rencontre. » Samba Félix Ndiaye
La rencontre et l’écoute sont des qualités inhérentes au documentaire, elles sont tout aussi inhérentes au cinéma de Samba Félix Ndiaye, grand réalisateur sénégalais né en 1945 et disparu en 2009. Suite à des études de droit et sciences économiques à Dakar, où il a animé le Ciné-Club du Centre Culturel Français avec un groupe d’amis réalisateurs, il part en France en 1969 pour suivre une formation de cinéma à Paris 8. Après un exil de plus de trente ans, il a retrouvé en 2004 son pays natal où il a tourné la plupart de ses films. Nous lui rendons hommage cette année à l’occasion de la projection inédite de la version restaurée du film Trésor des poubelles avant sa sortie en salles, grâce au beau travail de la société La Traverse.
Tout au long de sa vie, il s’est consacré uniquement au champ du documentaire, cultivant un regard singulier, une présence au monde éthique, collective et portée par l’écoute, une liberté permise aussi par sa société de production, inventant sa manière propre de faire du cinéma en dehors des aides et des injonctions occidentales, apportant une véritable rupture, une modernité de ton, un renouvellement formel. Il n’a cessé de témoigner d’un réel social et politique, se positionnant contre l’héritage (des images, des clichés et de la société) colonialiste et capitaliste, dans une volonté de résistance qui ne s’essoufflera jamais chez le cinéaste, tout en réfléchissant sur l’acte même de filmer, de créer. Il n’a cessé d’interroger le monde, parfois de manière plus intime, avec le courage de s’engager pleinement dans ses films. « Car l’approche documentariste nécessite forcément une implication personnelle, donc une mise à nu, avec les protagonistes », sans la possibilité de se cacher.
Samba Félix Ndiaye porte un regard « *à hauteur d’hommes* » sur les filmé.e.s, une attention profonde. Ils participent au processus de création, tout comme les spectateur.ice.s à qui le cinéaste laisse une place importante, par son silence (chaque mot du commentaire se fait précis et rare), l’espace qu’il laisse à l’énigme, à l’écoulement du temps, invitant le spectateur.ice dans sa réflexion critique, l’entraînant avec lui dans une contemplation et une écoute actives. De véritables rencontres ont alors lieu, entre filmeur, filmé.e.s et spectateur.ice.s. Le souci de la rencontre, de l’échange et de la transmission fait partie intégrante de la personnalité de SFN, dans ses films (par le sujet comme par la forme) mais aussi dans sa vie, ayant dédié ses dernières années à former des jeunes au cinéma documentaire.
Samba Félix Ndiaye était un visionnaire et nous éclaire encore aujourd’hui sur les cinémas d’Afrique et leur jeunesse. Lorsqu’il déclare à Jean-Pierre Garcia dans un entretien réalisé en 1999 à l’occasion de l’hommage rendu au cinéaste par le Festival International du Film d’Amiens, “je considère souvent que le renouvellement de la fiction passe par les cinéastes qui œuvrent aussi dans le documentaire, ou qui sont en tout cas des documentaristes à la base” ou encore, lorsqu’il répond à la question “Quelle est la pierre que le cinéma africain peut apporter à l’édifice du cinéma mondial?”, “A mon avis, le renouvellement pourra ou devra passer par le documentaire”, rappelant que les premiers films africains sont des documentaires, sans oublier de jouer avec la frontière poreuse entre les deux champs (le film africain qui lui a le plus donné envie de faire du cinéma étant Borom Sarret de Sembène Ousmane, certes une fiction mais avec une telle charge de réel que lui le considère comme un documentaire), il pointe du doigt une réalité qui nous concerne en 2022. En effet, on remarque qu’une nouvelle génération de cinéastes africains brillants a jailli ces dernières années par le documentaire et commencent à se tourner vers la fiction, rassemblant les deux champs par leur sens admirable de la mise en scène. Samba Félix Ndiaye avait raison, le documentaire est une promesse.
Marie-France Aubert
Souvenirs de Samba Félix Ndiaye par Jean-Pierre Garcia (tirés du portrait qu’il a fait du cinéaste en 2013)
Le premier directeur historique, et l’un des fondateurs du FIFAM, Jean-Pierre Garcia a rencontré pour la première fois le cinéma de Samba Félix Ndiaye et l’homme en décembre 1979, à l’occasion de la projection de Geti Tey (où le cinéaste prend la défense des pêcheurs locaux mis en péril par l’essor de la pêche industrielle et des bateaux-usines venus de l’étranger) lors du Festival International du Film de l’Ensemble Francophone à Dakar. Alors qu’il n’avait à l’époque vu qu’une dizaine de films africains et se promenait avec sous le bras l’ouvrage de Catherine Ruelle et Guy Hennebelle, Cinéastes d’Afrique Noire, le cinéaste lui a fait découvrir les jeunes passionnés de cinéma de la capitale du Sénégal, entre critiques et réalisateurs exaltés. Il n’a ensuite pas cessé de le rencontrer au fil des années à Paris, rue Saint-Yves dans le Quatorzième, à Londres ou à Ouagadougou.. De verres de thés en verres de vin, du Sénégal à Paris, les rencontres n’en finissaient plus, les discussions s’enchaînaient à bâtons rompus sur le cinéma en général, la cinéphilie personnelle du cinéaste, ses projets, trop souvent restés en suspens pour des raisons financières, et surtout, ce qui lui tient le plus à coeur, le cinéma du réel.
Le film de leur rencontre, “Geti Tey fut projeté et primé lors du 1er Festival d’Amiens, en Mars 1980. Il fut l’une des œuvres les plus marquantes du festival. Félix Ndiaye qui faisait la navette entre Paris et Dakar ne put assister à la projection de son film mais il se déplaça à Amiens une semaine avant le début du Festival et réalisa une longue interview sur FR3 Picardie, un beau parallèle fut rendu possible entre la pêche au Sénégal et celle réalisée en Baie de Somme. Deux traditions et métiers populaires se rejoignirent en cette occasion. Ce qui allait au devant de nos souhaits d’organisateurs de festival.
Son œuvre inestimable a marqué et inspirera encore plusieurs générations de réalisateurs. Samba Félix Ndiaye a passé près de trois décennies en France, tout en filmant avec une grande sensibilité son pays et son continent. Sa petite société de production Almadies Films était située au cœur du Paris populaire, Rue Saint-Yves dans le Quatorzième arrondissement, dans un ancien atelier d’artisan. Une petite cour pavée était le cœur et le centre de son activité, sa famille vivait là, les enfants et sa compagne, monteuse de talent et tout aussi passionnée que lui. Les amis cinéastes de passage s’annonçaient ou frappaient à la porte, les discussions s’élargissaient au nouvel arrivant et Félix ajoutait une assiette, ouvrait la bouteille de vin apportée par l’invité jusqu’à ce que la nuit tombe. Il y avait une renaissance africaine en ce lieu modeste et chaleureux, caressant comme les arbres et les plantes dans cette cour si éloignée des bruits de la ville, la sérénité et la passion de cette famille nous transportaient par delà les ans et les océans.
Homme aussi bon que passionné, Samba Félix Ndiaye était à l’écoute des autres et aimait partager ses idées comme son expérience. Il restera toujours, pour ceux qui l’ont connu, le cinéaste indigné par toutes les formes d’injustice qui frappaient le Continent : en Afrique de l’ouest comme du côté des Grands Lacs. Considéré à juste titre comme le père du cinéma documentaire africain, il n’aimait pas cette étiquette et souriait en niant cette remarque. En forme de boutade mais avec une vraie profondeur, il affirmait devoir tout à quelqu’un qui ne connaissait rien ou si peu au cinéma : sa grand-mère. Avec admiration il revendiquait son héritage familial et signifiait ainsi la portée éthique de son africanité :
« Dans la concession où j’ai grandi, tous les soirs ma grand-mère nous racontait des histoires sous forme de fables, de contes et de légendes truffées de paraboles, de devinettes. C’est pendant ces réunions nocturnes quotidiennes qu’elle nous enseignait la morale. Il y en avait une à la fin de chaque histoire. C’est aussi par le biais de ce mélange de contes et légendes qu’elle nous indiquait nos origines, notre place et notre rang dans la société. Sans aucun doute c’est elle qui a formé mon sens de l’observation et ma curiosité envers les choses que les mots ne disent pas. Ou qu’ils disent tandis que le corps dit autre chose. Je le sais maintenant.
Quand je filme, tout cet imaginaire refait surface, parfois à mon insu. Quand il m’arrive de revoir mes films, je reconnais souvent la façon dont parlait ma grand-mère, les sujets dont elle parlait. Je crois sincèrement que ma grand-mère est ma référence philosophique. Mes contradictions avec mes collègues cinéastes africains sont de cet ordre là : de quoi parle-t-on, avec quel langage, avec quelles références ? Avons nous une manière particulière de poser notre caméra, d’appréhender la lumière, les couleurs, de choisir nos objectifs ? De quelle esthétique est-il question ? Quel est le lien avec notre histoire, notre manière d’être, de nous mouvoir entre passé et présent ? Prenons-nous pour référence les œuvres de la Renaissance italienne, les recherches des impressionnistes français ou celles des peintres rupestres du Tassili du Niger ? Bref, de vraies questions sur notre langage cinématographique et son esthétique. Le cinéaste doit être visible à l’intérieur de son film, comme tout artiste, il peut hanter son œuvre ».
A l’occasion de l’hommage que lui rendit le Festival international du film d’Amiens en 1999, nous avions pris le temps de considérer les différentes phases de son travail, un après midi de septembre dans sa maison-atelier de la Rue Saint-Yves. Félix allait, quelques années après, entamer un voyage vers le Sénégal un voyage au bout duquel il allait enfin pouvoir transmettre de manière approfondie son savoir aux apprentis cinéastes de son pays voire d’Afrique de l’Ouest. Félix s’en retournait de manière permanente pour pouvoir y installer un centre de formation, une vraie école de cinéma. Comme souvent, malheureusement, ce n’est ni la volonté ni l’énergie qui manquent, ce sont les bailleurs de fonds qui font défaut et pire, ne tiennent pas leurs promesses. Ce rêve de cinéaste comme il disait ne verrait jamais le jour de son vivant. Et Félix fut victime le six novembre 2009 d’une ultime crise de paludisme.
Les propos qu’il tenait près de dix ans auparavant, conclusion d’un entretien destiné à introduire son œuvre et bilan provisoire, résonne encore avec force en ma mémoire ; ils sont le plus beaux des adieux que puissent adresser un homme qui assumait sa condition d’homme et de cinéaste. « Au bout de trente ans d’exil, si je m’éloigne en apparence de l’Afrique, c’est en fait pour mieux m’en approcher. Quand je filme la rue Saint-Yves, dans le 14e arrondissement de Paris, je me retrouve à tourner un petit bout d’Afrique, en fait ! Je parle avec les voisins, nous échangeons, comme dans la cour de notre enfance. Parler du bonheur, de la vie, du bonheur de filmer parce que l’on se sent heureux. Et je me dis que faire un film c’est comme envoyer une lettre d’amour. Parfois on n’y parvient pas. Pour faire un film, il faut un engagement personnel, aimer la vie et être le propre artisan de son existence. L’éducation nous a légué un certain nombre de codes et de choses que l’on peut faire ou pas. Soit nous en avons connaissance et nous en usons, soit nous l’ignorons et, vivons ces choses dans l’ignorance. »”
Les films
5 films 5 with guest's
Dakar-Bamako 58‘ •
Un documentaire passionnant sur la traversée du Bamako Express, par le « père du cinéma afric…
En présence de Catherine Ruelle
Lettre à l’œil 13‘ •
Le cinéaste nous parle de la place des cinémas d'Afrique aujourd'hui.
En présence de Henri-François Imbert
Lettre à Senghor 49‘ •
Une enquête et une réflexion sur la figure du poète et homme politique sénégalais Léopold S…
En présence de Henri-François Imbert
Le retour d'un cinéaste à Dakar après quarante ans d'exil.
En présence de Charles Tesson
Un récit sur ces artisans qui recyclent pour créer et se placent à contre-courant du système …
En présence de de critiques cinéma et proches de Félix Samba Ndiaye